Pete Stone a passé une journée avec le « Team Jolokia » le 25 juillet dernier. Après une courte présentation de cette aventure, vous trouverez ci-dessous un entretien avec Pete, mené par Sarah Fraisse pour parler de ses impressions.
Composé d’un équipage “dont personne ne voudrait sur le papier”, le Team Jolokia considère la diversité comme une véritable valeur ajoutée. Les équipiers ont été recrutés en fonction de leurs compétences mais aussi en tenant compte de leurs facultés originales qui enrichissent le groupe. Le Team Jolokia est mené par un équipage hétéroclite : quinquagénaires, moins de 25 ans, femmes et hommes, handicapés ou valides, de milieux sociaux différents,… Olivier, aveugle depuis 10 ans, va donc cotoyer Pénélope 25 ans et débutante. Benoît G., originaire d’une cité de banlieue parisienne, va naviguer avec Benoît D., juriste en droit des affaires rodé à la régate. Depuis 6 mois, les naviguants ont appris à vivre et travailler ensemble, animés par un objectif commun : faire le meilleur résultat possible et montrer qu’ils sont compétitifs face aux meilleurs. Au fil des régates en Atlantique, du Tour de Belle-île au Record SNSM, les résultats s’en sont ressentis.
Pour d’autres renseignements sur le Team Jolokia , consultez www.teamjolokia.com
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis britannique, mais en France depuis presque 30 ans. Je suis donc un mélange de culture britannique et de culture française. Je travaille sur les sujets liés à la diversité et à la discrimination auprès des entreprises. Mon rôle est de les accompagner dans la mise en place de politiques de diversité.
Pour vous, qu’est-ce que la diversité aujourd’hui ?
Très bonne question ! Pour moi, la diversité, c’est le fait que nous sommes tous différents : nous avons un parcours différent, des compétences différentes, des limites différentes, des choses que l’on fait bien, d’autres que l’on fait moins bien.
La diversité, c’est réunir la différence de chaque individu avec les différences d’autres individus. Ainsi, le groupe peut être plus créatif et innovateur et donc plus performant.
En France, la diversité, dans le sens où on l’entend la plupart du temps, est réduite à certains critères ou certaines populations : les femmes, le handicap, l’âge, l’origine ethnique… C’est une définition trop réductrice selon moi.
Pourquoi étiez-vous à bord du Team Jolokia jeudi dernier ?
Le matin, j’ai navigué sur le VOR60 avec l’équipage en entraînement. J’ai passé une de mes premières journées à ne pas avoir peur de l’eau !
L’après-midi, nous avons échangé avec l’équipage sur l’aventure Team Jolokia ; pourquoi ils sont là, ce qu’ils en retirent, leur vision du projet, etc.
J’étais là parce que je trouve que c’est une belle aventure, vraiment passionnante. Je voulais voir ça de plus près, s’il y avait des choses à faire ensemble.
Que représente pour vous le Team Jolokia ?
D’un point de vue intellectuel, c’est un groupe de gens qui oeuvrent dans le même sens pour partager une expérience commune et vivre quelque chose de différent avec des gens différents. Ils souhaitent ainsi faire quelque chose de plus intéressant.
A un niveau plus personnel, je dirais que ce sont des gens d’une ouverture d’esprit remarquable, des gens « bien » et très humains !
Comment percevez-vous le handicap, la mixité, la différence de niveau de compétences, d’âge… au sein de l’équipage ? Sont-ils des freins à la construction de la performance ?
Je n’ai pas vu tout l’équipage, seulement 7 personnes, mais avec des différences au sein du groupe : des personnes jeunes à des gens qui ont dépassé la cinquantaine, des gens qui sont décrits classiquement comme des personnes non handicapées et des personnes plutôt handicapées, des gens qui connaissent bien la voile et d’autres qui ont connu la voile avec le Team, etc.
Est-ce que ces différences sont des freins à la performance ? De ce que j’ai observé, je dirais le contraire. J’ai l’impression que le fait que les gens soient différents, avec des points forts et des points faibles, n’est pas un frein mais quelque chose de positif. Ici, chacun admet le fait qu’il y ait des choses qu’il arrive à faire et d‘autres non. Cela crée de la solidarité, de l’entraide entre les gens, ce qui leur permet de pouvoir aller au-delà des différences. De là commence la fameuse synergie où l’impact des individus agissant ensemble est plus grand que la somme de leurs actions prises indépendamment les unes des autres.
C’est une impression, mais est-ce la vérité ? C’est plutôt à l’équipage de le dire.
Les différences sont-elles lissées ou visibles ?
Les différences sont bien présentes : elles ne sont pas lissées, elles sont très clairement là et personne ne s’en cache. Mais ce n’est pas pour autant que ces différences sont vues comme des freins.
Alors que de manière générale, soit on nie la différence, soit on met en avant la différence pour dire “celui-là est plus fort que celui-ci”. Ici, ce n’est pas le cas : les gens acceptent qu’ils ne sont pas identiques, en termes de compétences en voile par exemple. On l’accepte parce qu’on accepte aussi que chacun ait des choses à apporter à l’autre. Ma vision est peut-être naïve. Peut-être que les gens ne sont pas complètement honnêtes quand ils parlent, mais moi je l’ai ressenti comme ça.
Quels outils de management de la diversité avez-vous observé à bord ?
Je ne sais pas si j’ai vu un management de la diversité à proprement parler. J’ai vu une prise en compte des compétences et des lacunes des uns et des autres pour que l’ensemble avance. Est-ce un management de la diversité ? Je ne suis pas persuadé que ça le soit dans le sens classique du terme. En même temps, c’est aussi ce que l’on doit faire : essayer d’appuyer les points forts de chacun et faire en sorte que chacun puisse combler les points faibles des autres. Quand une personne n’arrive pas à faire quelque chose, quelqu’un d’autre l’aide pour qu’il réussisse et la prochaine fois le fasse mieux. Il s’agit de partager les compétences des uns et des autres pour faire en sorte que cela marche le mieux possible.
Pourraient-ils être transmis à un autre type d’organisation (entreprise, collectivité…) ? Dans quelles conditions ?
On doit essayer de maximiser les compétences des uns et ne pas minimiser les lacunes des autres pour faire en sorte que chacun soit à son potentiel maximum.
Si une personne a des limites ou des contraintes, soit elle les comble elle-même, soit elle fait appel aux compétences des autres. Le but final : être plus fort que si chacun oeuvrait de manière individuelle dans son coin.
Un autre aspect intéressant : même si l’équipage n’a pas été construit sur le thème du handicap, la manière dont les gens travaillent ensemble montre clairement que le handicap n’est pas forcément ce que l’on perçoit au début. Quelqu’un qui boite ou qui a des béquilles, ce n’est pas forcément cela qui est le plus handicapant sur le bateau. On arrive à compenser ça en faisant autre chose et en faisant en sorte que cette personne ait un rôle sur le bateau qui fait que ça ne pose pas de problème. On va axer sur ses compétences plutôt que d’accentuer ses faiblesses. Alors que, quand on parle de handicap de manière générale dans la vie de l’entreprise, on a tendance à pointer du doigt les lacunes, les limites et les choses que la personne handicapée ne peut pas faire. Très souvent, on va mettre en avant les compétences et points forts des gens qui ne sont pas handicapés et on va mettre en avant les points faibles des gens qui sont handicapés. Ici, c’est plutôt le contraire. La personne est mise dans une position dans laquelle elle peut utiliser ses compétences le mieux possible. Là, il y a des enseignements à tirer de l’action du Team.
Lorsque l’on gère un groupe, il faut toujours essayer de voir ce que chacun fait bien et moins bien – quels que soient l’âge, le handicap, le sexe, etc. Cette mise en commun permet au groupe d’être plus fort.
Selon vous, quelles sont les meilleures clés pour allier performance et diversité au sein d’une équipe (entreprise) ?
La première chose à faire : ne pas nier la diversité, dire qu’elle existe, accepter que chacun soit différent sans pointer cette différence comme quelque chose de négatif. Il faut voir les différences des uns et des autres comme des complémentarités, qui permettront à l’entreprise d’être plus forte.
C’est compliqué car la différence est souvent vue comme quelque chose de stigmatisant, dans l’entreprise et dans la vie en générale. Souvent, on n’ose pas pointer la différence car très souvent quand l’on remarque la différence de l’autre, on a tendance à juger cela négativement.
Si tu travailles dans une équipe où il y a des hommes et des femmes, il ne faut pas dire qu’il y a des hommes et des femmes mais juste des êtres humains. Et bien non, il y a bien des hommes et femmes ! Nous ne sommes pas socialisés de la même manière et cette différence permet d’avoir une complémentarité que l’on n’aurait pas eue si on travaillait avec seulement des hommes ou seulement des femmes.
Comme l’expérience de quelqu’un qui est handicapé : son expérience fait que par définition, il a une vie différente de quelqu’un qui n’est pas handicapé. Si on ne l’accepte pas, on ne peut pas tirer profit de la différence de cette personne.
Toujours accepter que l’autre soit différent est fondamental. Il ne faut pas lisser les différences : nous ne sommes pas tous pareils ! Tout le monde a sa place, on a besoin de tout le monde. Si nous sommes tous pareils, la diversité perd son sens.
Ce n’est pas parce qu’on est différent qu’il y a des gens qui sont moins bien et d’autres qui sont meilleurs : tout le monde a sa place dans l’organisation d’une entreprise. Seul, le PDG de l’entreprise ne sert à rien. Il a aussi besoin de la personne qui est tout en bas de l’organisation. On a tous quelque chose à apporter dans la construction de l’édifice, qu’est la réussite de l’entreprise.
La deuxième chose est qu’il faut accepter que personne n’est parfait, on a tous une marge de progression et chacun peut apprendre des autres, et aux autres. Des gens sont meilleurs que moi dans un domaine, c’est très bien, ils auront quelque chose à m’apporter dans ce domaine ! Et moi je serai meilleur qu’eux dans un autre domaine.
Dans une équipe, c’est important d’avoir quelqu’un de très fort dans un domaine, ce qui permet aux autres d’apprendre. En même temps, il doit accepter que quelqu’un, même s’il n’est pas expert du domaine, puisse regarder ça avec un oeil neuf et peut-être apporter une autre vision. Nous faisons des choses qui nous semblent évidentes et sans nous poser de question parce qu’on les maîtrise. On a parfois besoin de regards extérieurs, d’un regard complètement naïf : cela permet à l’équipe de se remettre en question.